mardi 3 décembre 2013

La borne milliaire de Pont-de-Labeaume

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La borne milliaire (ou colonne milliaire) de Pont-de-Labeaume est une borne romaine qui indiquait les distances sur un trajet [1]. On en trouvait une tous les milles pas, ce qui représentait un mille romain. Le mille romain mesurait environ 1481 mètres. Le pas romain était un double pas de 0,74 mètre qui représentait 2,5 pieds romains, donc un pas romain mesurait environ 1,48 mètre.

Cette borne romaine était posée à la bifurcation de l'ancienne voie romaine allant vers la capitale du pays Vellave, par Montpezat puis le Pal. Cette voie venait d'Alba et passait à Aubenas (Albenate). La borne date d'une période comprise entre le 25 juillet 306 et l’automne 307.

Extrait de la carte de Cassini N°89, Le Puy, montrant la position de cette borne à la bifurcation des chemins.
Les anciennes routes royales, portées sur la carte de Cassini, se superposaient aux anciennes voies romaines.

Cette colonne a été découverte sur la commune de Pont de Labeaume, en 1857 ou 1859, dans un champ appartenant à un dénommé Saboul, situé au bord de la rivière Ardèche, à proximité du Pont de Labeaume qui enjambe la rivière. Il semble que cet endroit soit le parking situé aujourd'hui au bord de la rivière Ardèche, en face de l'église, où la borne est visible. La borne était debout, enfouie à 1,50 mètre de profondeur, dans une position un peu inclinée par suite du tassement du terrain. Il se pourrait que l'endroit de la découverte ne soit pas son emplacement originel [3] mais cela reste à démontrer.

 
Localisation approximative de l'endroit où a été découverte cette borne. Le "X" indique le lieu supposé. Extrait du cadastre napoléonien de 1839. Source : Archives départementales de l’Ardèche.



Contrairement à toutes les bornes milliaires de la Voie des Helviens, la borne de Pont de Labeaume est en grès.[2] Celles retrouvées dans la région, utilisées sous l'empereur Antonin pour borner la voie des Helviens,  sont taillées dans un bloc de calcaire gris à gros grains. Il faut aussi remarquer qu'aucune indication de distance n'est présente sur cette borne. Elle mesure 1,86 mètre pour un diamètre de 50 cm.

Inscription :

Les lettres sont des majuscules, certaines sont difficiles à lire. En voici la transcription :

IMPCAES[flaui]O
VALCONST
[anti]NO 
[p]IO NOCAESARIDIVICONS
[a]VGFILIO
BONOREI
PVBLICE
NATO


On ne trouve pas d'indication de distance gravée sur cette borne mais Roland Comte [4] indique, dans un article publié dans Cévennes Terre de Lumière, que sur beaucoup de milliaires l'indication de distance était peinte et non gravée, ce qui peut expliquer son absence sur certaines colonnes.


Interprétation :

Imperatori caesari flauio
ualerio constantino
pio nobilissimo caesari diui constanti
augusti filio
bono rei
publice
nato


Toujours dans le même article, Roland Comte signale que la plaque posée au pied de la borne est erronée. Elle comporte deux erreurs.
  • Une erreur de latin : il est écrit "divi Constantino Augusto filio" au lieu de "diui Constanti Augusti filio".
  • Une erreur historique : Constantin 1er n'est pas le fils de Constantin [sinon il serait le 2e ], il est le fils de Constance Chlore qui fut césar de 293 à 305 et empereur de 305 à 306. Constantin 1er lui succéda et régnât comme empereur de 306 à 337 [5].
Notes : Cette erreur historique d'identification de Constantin 1er avait été faite dans deux documents, en 1861 puis 1863, par l'abbé Rouchier [6]. L'abbé Arnaud à repris en 1964, les informations de son prédécesseur et on retrouve cette erreur dans plusieurs documents qui recopient les précédents sans avoir vérifié les informations disponibles...

Traduction : 

"A l'empereur César Flavius Valérius Constantin, Pieux, très noble César, fils du divin Constance, Auguste, né pour le bien de la République."




La borne présente une fente verticale au dos. Il s'agit d'une tentative de sciage de cette borne après sa découverte, en vue d'en faire une pierre de seuil... L'abbé Pierre Arnaud n'en parle pas dans son ouvrage publié en 1966. Mais l'abbé Jacques Rouchier, donne des précisions sur ce fait, dans une lettre qu'il écrivit à son excellence Monsieur le Ministre de l’Instruction publique, en 1863.
L'abbé Jacques Rouchier indique aussi dans cette lettre que la personne qui a érigé cette borne "au bord de la route impériale n° 102,  l'a dotée d'un piédestal à ses frais, et placée sous la sauvegarde de la croix, destination pieuse qui n'altère en rien son antique signification, qui la rend au contraire plus éloquente et plus expressive !"



On peut donc apercevoir au sommet de cette borne, en se hissant sur la pointe des pieds, le trou qui a été creusé vers 1860, dans cette borne plus que millénaire, pour y fixer une croix en fer forgé.
Il existe à Saint Germain, à coté de Lavilledieu, une autre borne qui a été transformée en support de croix de carrefour...Certaines bornes milliaires, en Ardèche, ont été plus sauvagement mutilées afin d'en faire des calvaires de carrefours routiers, d'autres ont disparu, certaines ont été cassées. Il serait important de protéger certaines de nos antiquités et de les remplacer par des copies lorsque cela est nécessaire !

Localisation de cette borne :



Cette borne est visible au bord de la route nationale 102, devant l'Église, à proximité du Monument aux morts, 07380, Pont de Labeaume.

Position géographique :

44.665379 N
  4.288948 E
Le Pont de Labaume est situé à proximité du Château de Ventadour qui fut la propriété du comte d'Antraigues.

Documentation 

Notes

    1. Il semblerait que Caius Gracchus, né en 154 av. J.-C., soit le premier à mesurer les chemin et à planter des pierres pour matérialiser les distances.
    2. Selon Georges Naud, président de la Société Géologique d’Ardèche, il pourrait s'agir de grès du Trias qui proviendrait des carrières de Mercuer (07200). Mercuer est située entre Aubenas et Pont de Labeaume, sur une voie romaine.
    3. Remarque effectuée par Frank Bréchon dans sa thèse de doctorat.
    4. Je remercie Monsieur Roland Comte, président de l'Association "Cévennes Terre de Lumière" qui a bien voulu m'apporter d'importantes précisions sur ce milliaire qu'il a étudié avec René Rebuffat.
    5. Constantin 1er, dit le Grand est issu d'une lignée de militaires. Il apparaît comme le plus important des empereurs romains, César et Auguste mis à part. Trois siècles après eux, il a donné une nouvelle jeunesse à l'empire tout en le réorientant vers une religion nouvelle, le christianisme, et en faisant basculer son centre de gravité vers l'Orient de langue et de culture grecques. Il est né à Naissus (aujourd'hui Niš, en Serbie).
    6. L'abbé Rouchier, chanoine honoraire de Viviers, était correspondant du comité impérial des sciences et des travaux historiques. Il est l'auteur d'une histoire du Vivarais.

    Documents de référence

    • Arnaud, Pierre (abbé) : "Voies romaines en Helvie" ; préface de Maitre Louis Bouvier ; 187 pages, in-8, (25,5 x 16,5 cm), broché, dessins, 8 cartes dépliantes hors texte et 2 dans le texte , 59 dessins dans le texte, de R. Joseph, R. Pitiot, H. Saumade et R. Weiss, photographies, Imprimerie Étienne Benistant, Le Teil d'Ardèche, 1966. (Tirage limité à 1380 exemplaires; voir pages 161, 162,163).
    • Bergier, Nicolas (1567-1623) : " Histoire des grands chemins de l'Empire romain , contenant l'origine, progrès, et estenduë quasi incroyable des chemins militaires pavez dépuis la Ville de Rome jusques aux extremitez de son Empire."; 856 p. : titre et front. gravés ; in-4; 1622, C. Morel (Paris).
    • Bréchon, Franck :"Réseau routier et organisation de l'espace en Vivarais et sur ses marges (1250-1450)"; Thèse de doctorat, Université Lumière, Lyon 2 - 2000.
    • Comte, Roland : "Miliaire de Pont-de-Labeaume"; pp.14-16; in  Cévennes, Terre de Lumière; trimestriel, n° 2-3/2007.
    • Lauxerois (R.) : "Le bas-Vivarais à l’époque romaine. Recherche sur la cité d’Alba"; Paris1983.
    • Napoli (Joelle) et Rebuffat (René) : « Les milliaires ardéchois d’Antonin le Pieux »; Gallia, XLIX, 1992, p. 51-79. 
    • Rebuffat, René : « Les voies romaines de la Basse-Ardèche », Mémoire d'Ardèche et Temps Présent, 66, Privas, 15 mai 2000.
    • Rouchier,  Jacques (abbé) : "Histoire religieuse, civile et politique du Vivarais", Paris, 1861.
    • Rouchier, Jacques (abbé) : « Lettre à son excellence Monsieur le Ministre de l’Instruction publique, concernant une inscription romaine découverte récemment sur la commune du Pont-de-Labeaume », dans la « Revue des Sociétés Savantes des départements » – IIIe série, T.I. 1863, 1er semestre, pages 164 à 166.
    • Urvoy, Jean-Michel : "Pont de Labeaume : la borne milliaire", Revue du Vivarais, tome CXVIII, N°4, 2014, Fascicule 800, pp. 305-322.

    Sur le web 

    Pages ouvertes par Isaac Moreno Gallo, en Espagne, sur les voies romaines. Ses recherches sont intéressantes car pour aller de Rome en Espagne, il fallait passer par le sud de la France. Ce qui est encore visible en Espagne a existé un jour en Gaule et très probablement dans notre région.... Issac Moreno Gallo est venu en Ardèche et a rencontré Roland Comte afin d'étudier avec lui les voies romaines du Vivarais.
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